« Ces calculs frôlaient la caricature puisque sous certaines conditions un plancher en béton présentait une empreinte carbone comparable à celle d’un plancher en bois »[1]
Le Greenwashing, une pratique insidieuse
Un certain flou normatif conjugué au développement de nouveaux marchés – notamment au niveau des collectivités en quête de solutions décarbonées – pousse certaines entreprises à recourir à des pratiques discutables (voire illégales) ; les médias ont ainsi plusieurs fois informé le grand public sur l’inadéquation entre les engagements mis en avant par certains acteurs économiques et leurs méthodes de productions et/ou d’exploitation[2].
A titre d’exemple la dénomination, pour le moins trompeuse, de béton « vert » est un abus dénoncé par Elioth, une société filiale du groupe EGIS. En effet, l’ensemble des solutions de réduction de l’empreinte carbone (PEF) ne permettent pas, à l’heure actuelle, de présenter des matériaux ou chantiers « neutres en carbone » mais offrent simplement des solutions « moins carbonées ».
Cependant, ces effets de manches relèvent plus de la simple stratégie commerciale que d’une pratique réellement trompeuse. Le véritable greenwashing – ou écoblanchiment – intervient en réalité lorsqu’une société présente un bilan carbone modéré ou réduit relativement à un produit, quand ce dernier ne répond objectivement à aucun des seuils de réductions d’émissions de GES. Il s’agit pour les sociétés recourant au greenwashing de se construire une image « écoresponsable », la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) étant une dynamique incontournable au sein du marché actuel, et ce tous segments confondus. Cette pratique est rendue possible par des techniques de montage entre plusieurs sociétés liées et leurs partenaires, qui vont minimiser/nier tout ou partie des émissions de GES découlant de la conception, mise en œuvre et exploitation du produit. Une pratique qui concerne malheureusement un trop grand nombre de sociétés en France. La question fondamentale concerne les méthodes de détournement des bilans GES. Comment le label « bas-carbone » est il obtenu par ces entreprises?
Le contournement normatif pour obtenir un béton labellisé « bas-carbone »
L’hypothèse principale semble être celle d’un contournement normatif réalisé par un ensemble de procédures sur les supply-chains. En effet, une recherche sectorielle semble démontrer que les sociétés en question importent des clinkers (élément constitutif du béton) totalement standards produits en Turquie et au Maroc. Ce faisant, le ciment produit par ces sociétés à destination du marché professionnel de la construction n’est en rien « bas-carbone » puisqu’il s’agit de ciment de type « Portland », très classique et très carboné[3]. Sur la base d’une telle hypothèse, si l’on considère les autres éléments entrant dans la composition du béton (sable, additifs et eau), ainsi que le coût énergétique du transport entre la Turquie ou le Maroc et les centrales à béton françaises, il est formellement impossible d’affirmer que les matériaux en question sont « bas-carbone ».
Pour exemple, Une entreprise, détaillait en 2019 dans un article des echos, sa supply chain d’importation de clinker de turquie et, deux ans après, communiquait dans un article de presse spécialisée sur un marquage CE et une norme NF en cours d’acquisition[4]. D’après le média indépendant dédié à l’écologie Reporterre, la raison d’une telle stratégie est simple : « importer du clinker depuis l’extérieur de l’UE afin d’échapper aux contraintes du marché européen du CO2. »[5]. Le recours aux importations hors-UE et à la stratification productive permet de gommer tout ou partie du bilan carbone total d’un produit grâce à un ensemble de techniques légales et marketing. Sur le plan légal, les pays hors UE n’ont souvent aucune réglementation en matière d’EGES/PEF12 ce qui abolit de facto toute contrainte liée aux normes de production in situ. Cette stratégie constitue le phénomène des « Fuites Carbone » contre lequel l’Europe projette d’agir à horizon 2026 avec la création d’une taxe carbone aux frontières (CBAM).
Ce questionnement sur le marché du béton « bas-carbone » offre une illustration particulièrement intéressante en matière d’écoblanchiment, vis-à-vis de clients qui souvent ne maîtrisent pas ces logiques et se retrouvent finalement confrontés à un produit à haute teneur en carbone « déguisé » en béton «bas-carbone ». Cette approche montre comment un secteur, à travers un storytelling aux francs accents de greenwashing, a été en mesure de proposer un prétendu ciment « bas carbone » à sa clientèle locale…
C’est donc dans une quête du profit et sous couvert d’un storytelling axé sur une prétendue « performance environnementale » qu’un système de fuite carbone est soigneusement organisé.
Il est donc urgent et primordial d’accélérer la réglementation européenne sur le sujet de la traçabilité carbone du ciment, la mise en place d’un cadre juridique solide pouvant être le premier pas menant à la définition normative et stricte du béton « bas-carbone ». A l’heure de la publication du dernier rapport du GIEC et face aux tendances haussières qui s’exercent sur un marché tendu, la solvabilité carbone des entreprises de la construction doit devenir une des principales priorités des autorités publiques en matière d’écologie et de transition énergétique.
[1] MEUNIER Guillaume, in Le béton bas carbone est-il vraiment écologique ? Ouest-France, 25.05.2021
[2] BERTUCCI Elisabeth, Le béton bas carbone est-il vraiment écologique ? Ouest-France, 25.05.2021 et NICOLAS Julie, Des bétons vraiment bas carbone ? Le Moniteur, 08.01.2021.
[3] Agence Qualité Construction, Ministère de la Transition Écologique, Bétons bas-carbone, perspectives et recommandations, septembre 2021, 24 pages, page 9.
[4] RAYNAUD Christine, Le site Rhône Ciments de Cem’in’Eu obtient le marquage CE pour ses ciments, Constructioncayola.com, le 07.07.2021
[5] GIRAUD Baptiste, L’arnaque des cimentiers pour polluer tout en spéculant sur le climat, Reporterre, mis-à-jour le 19.02.2020